Le responsable

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 “En tant qu’employé du protocole affecté à la salle des Audience, j’ai puremarquer qu’en général la nomination entrainait des changements physiques essentiel. Cela m’a fasciné au point que je me suis mis à étudier le phénomène de près. En premier lieu, c’est toute la silhouette qui change. Elle était mince et élancéè, elle devient carrée. Carrée, massive et solennelle: elle symbolise la solennité et le poids du pouvoir. Ce n’est pas qu’une question de silhouette, il s’agit aussi de rendre visibles l’importance et les responsabilités. Un ralentissement des mouvements accompagne ce changement de silhouette. Celui que a été distingué par sa Noble Majesté ne va pas sauter, courir, folatrer, gambader. Certes non. Son pas se fait solennel: il pose fermement ses pieds sur le sol, il penche légèrement son corps en avant pour montrer sa détermination à surmonter l’adversité, il maitrise parfaitement le mouvement de ses mains afin d’éviter tout gesticulation nerveuse et désordonnée. Le visage devient égalemment solennel, presque tendu, plus soucieux et fermé, mais encore capable d’éclairs d’optimisme ou d’approbation.


Il doit toutefois décourager toute tentative de relation personnelle. On ne peut pas se détendre, se repose ni reprendre son souffle face à un tel visage. Le regarde change aussi: sa portée et son angle se trouvent modifiés. Le regard est pointè sur l’horizon. Selon les lois de l’optique, celui qui a été nommé ne peut pas vous voir quand vous lui parlez,puisque son point focal est bien au-delà de vous. Vous ne pouvez etre vu puisqu’il regarde en biais; d’ailleurs, par un curieux principe s’apparentant au périscope, meme le plus petit délégué a le regarde qui vous passe au- dessus de la tete pour se perdre à l’infini, ou dans ses pensées. De toute façon, on sent que, meme si ses pensées ne son pas très profondes, ce sont les pensées d’un RESPONSABLE. On se rend bien compte qu’essayer de faire passer ses propre pensées serait deraisonnable et mesquin. On rest donc silencieux. Le favori de l’Empereur n’est pas plus desireux de parlre, et la transformation de la parole est d’ailleurs un autre symptome post-nomination. Beaucoup de monosyllabes, de grommellements, de toussotements pour s’eclaircir la gorge, de pauses lourdes de sens, de changements d’intonation, de mots vagues, et un air de tout connaitre mieux et depuis plus longtemps, voilà ce qui a remplacé les bonnes phrases toutes simples. On se sent de trop et on s’en va. La tete se redresse sur son axe en guise d’adieu.
Mais Sa Bienveillante Majesté ne fasait pas qu’élever ses sujets; malheureusement, quand percevait de la déloyauté, l’Empereur les démettait tout aussi bien. Si vous me passez l’expression, il les flanquait à la rue. On pouvait alors observer un phénomène intéressant. Au contact de la rue, les effets de la promotion disparaissent. Les trasformations physiques se renversent, et celui qui a touché le sol redevient normal. Il manifeste meme un très net penchant à la fraternisation, comme s’il voulait balayer le tout, le disperser et dire “oublions”, comme s’il s’agissait d’une petite maladie sans importance.”

Ryszard Kapuscinski, “Le Négus”.